exposition solo / passée

Construire un saloon

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Dans la peinture de Guillaume Mary, tout part du souvenir. Généralement celui d’un lieu étroitement lié à son vécu – la maison de famille, l’atelier ou encore une cabane, domicile temporaire lors de villégiatures. Pourtant, malgré l’affect à l’œuvre dans ces évocations celles-ci procèdent d’un certain dénuement, une rétention de ce qu’il y a à voir, à dire. Presque un silence. Car ces endroits se trouvent systématiquement décontextualisés, et résumés sur la toile aux seules architectures, parfois à quelques éléments végétaux stylisés. Ainsi un hameau est condensé en quelques éléments épars, silhouettes spectrales de bâtis par place incomplètes, plus loin trois degrés d’un escalier, et encore la frange d’une barrière ; l’ensemble sommairement esquissé se trouvant en outre disséminé sur un fond monochrome, incertain – un non-lieu. Chez Guillaume Mary la représentation adopte cette topologie propre aux traces mnésiques, reléguant dans l’oubli l’essentiel des détails pour ne conserver que quelques traits distinctifs des figures originales. C’est d’autant plus marquant dans les toiles récentes, comme avec ce Saloon (en forêt) qui donne son titre à la présente exposition : du modèle réduit ayant appartenu au peintre dans son jeune âge il ne subsiste guère plus qu’une élévation schématique, dont le dessin géométrique aux contours nets accuse encore le caractère plan. Ramené à portion congrue, le Saloon n’est plus qu’un édifice de façade, simulacre succinct où l’objet référent est ramené à l’épaisseur d’une feuille de théâtre. En s’employant ainsi à déréaliser son motif, Guillaume Mary cherche à débusquer l’artificialité inhérente à la figuration. Il amène le regardeur à prendre cette distance nécessaire vis-à-vis de la chose représentée – ici qui plus est un bimbelot, ce Saloon, objet dont précisément on se joue.
Le travail de Guillaume Mary a toujours ainsi oscillé entre une tentation à l’autobiographie et cette propension à accuser le caractère fictionnel de la représentation.

Cela s’entend également dans ces tableaux, toujours d’après nature, mais où il choisit cette fois de focaliser au plus près d’un détail. Zoom avant sur l’Habitat de montagne, le cadre venant ponctionner des fragments qui, ainsi isolés de l’entour, s’autonomisent. Gros plan sur le Bassin nocturne dont la composition s’abstrait en un jeu de lignes qui semblent organiser un espace strictement pictural. D’autant que lorsque le peintre choisit de se rapprocher de la sorte de son sujet ce n’est jamais dans l’intention de se prêter à davantage d’exactitude, tout au contraire ; à défaut de préciser Guillaume Mary pousse l’épure dans ces cadrages serrés, faisant d’autant plus la part belle au geste et à la matérialité de la couleur.
C’est d’évidence à regarder cette Baraque des dunes. Bien sûr la large plage de couleur recouvrant all-over le fond dégage un semblant d’horizon dans la moitié supérieure de la toile, induisant de fait une orientation ainsi qu’une sensation de profondeur. Mais dans sa partie basse le format raconte tout autre chose – il est là question de la peinture, per se, nous livrant son processus constitutif. Guillaume Mary est venu ici structurer la surface de sa toile par une série de lignes tracées à l’aide d’une brosse très large, construisant l’espace par des oppositions de plans eux-mêmes indiqués par des oppositions de directions des coups de pinceaux. Le processus demeure à dessein parfaitement visible : la négociation des virages, la césure plus ou moins franche marquant l’endroit où le pinceau s’est enlevé de la toile à l’amorce ou à l’arrêt d’une ligne, ou encore – et c’est sans doute le plus parlant – ce tarissement progressif de la charge de peinture, le coup de brosse qui au fur et à mesure s’étiole, indice du mouvement du corps en train de peindre et de la temporalité de cette action. Au-delà du caractère narratif que lui confère son titre, le tableau apparaît bien davantage comme une image de sa propre élaboration. Alors, en définitive, la part autobiographique répond ici moins de la reconnaissance d’un lieu-dit que de la dimension performative de cette peinture, laquelle indexe la présence du peintre.
Face à ces toiles empruntes d’un certain mutisme, il faut aussi entendre de quelle façon l’économie de moyens préserve paradoxalement ce travail du risque de céder à tout processus programmatique. D’abord parce que Guillaume Mary ne s’accorde pas le droit au repentir. Dans cette quête de justesse le geste est et doit demeurer unique, sur le vif et d’un coup d’un seul, quitte à ce que par endroit il vibre, fragile, et se cherche. En outre, le peintre a de plus en plus fréquemment recours aux effets non maîtrisés de la matière picturale. Sur ses toiles les plus récentes il intervient volontiers dans le frais, déposant une quantité de peinture relativement fluide sur le support à l’horizontal, laissant le motif se former au gré de l’orientation de la toile et de la viscosité de la matière. Si cette part laissée au hasard reste ténue, elle n’en est pas moins signifiante. C’est ce que montre le lavis inframince rapidement badigeonné en arrière-plan du Saloon. Le titre procure une clef, ce serait « la forêt ». Home versus Wild : d’un côté le bâti dont le tracé rectiligne dénote une certaine habileté technique, bloc parfaitement circonscrit et solidement planté sur cette horizontale épaisse et sombre lui tenant lieu de fondation ; de l’autre, à rebours de la forme géométrique, cette masse aqueuse, indécise dont les contours vibrent, et qui vient surplomber l’habitat de deux fois sa hauteur.
La première version du Saloon (en forêt) est plus parlante encore, l’arrière-plan particulièrement sombre et tourmenté du petit format venant comme engloutir la sage ordonnance de l’édifice – la construction, si rigoureuse soit-elle, paraît en effet bien gracile en regard du tumulte visuel de la surface qui la domine. Guillaume Mary met continuellement à mal l’intégrité géométrique des bâtiments qu’il représente, venant jouer des manques, des disproportions d’échelle, de placements d’ombres comme de perspectives erronées – tout pour venir contrarier l’appréhension du volume posé sur la toile. C’est également notable dans l’importance qu’il accorde à indiquer l’artificialité des seuils – le dessin outré de la double porte du Saloon dont les battants se referment sur une inexplicable lumière, ou l’entrée de la Façade d’atelier dont l’embrasure de la porte ne révèle qu’une improbable encoignure, bouchant la vue. Ici, en définitive, l’ouverture ne donne guère plus à voir – derrière l’envers du décor, rien. L’espace dépeint demeure énigmatique, c’est-à-dire aussi un puissant espace de projection.
Guillaume Mary s’attache à ce que sa peinture ne remplisse pas un cadre préexistant dans l’idée, ceci expliquant pourquoi ses formes bien que sommaires, concises, ne soient pour autant ni descriptives, ni absolument rigoureuses, et affichent a contrario ce caractère d’à-peu-près. Cette attention qu’il porte à ouvrir l’œuvre à la possibilité de l’imperfection lui permet de ne jamais enclore sa pratique, et à s’assurer que les mécanismes qui précèdent la toile peinte ne prennent jamais le pas sur cette acmé qu’est le moment de la réalisation.

Marion Delage de Luget

œuvres exposées

vue de l’exposition

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