Exposition solo / passée

En cas de déclenchement des sirènes, évacuez la zone !

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On pourrait sans doute placer le travail vidéo de Guillaume Gehannin dans le registre du paysage, à la condition de considérer comment il aborde cette notion dans un champ élargi. Ses captations « sur le motif » ne se limitent en effet pas à renseigner la réalité contingente d’un espace donné, mais viennent petit à petit fouiller l’endroit jusqu’à mettre à jour le réseau complexe de relations qui le modèlent et l’organisent.
Tout part souvent d’un plan d’ensemble fixe, traité comme un tableau de « plein air ». Ce cadre large, exhaustif – montrant une grande profondeur de champ –, campe néanmoins le site sans aucun pittoresque : image expressément dénuée d’emphase, tournée à hauteur d’homme, rendant un paysage plus que commun. Un lieu à la fois parfaitement familier et pourtant impossible à localiser s’il n’y avait l’indication du titre. Car Guillaume Gehannin filme la zone – c’est la ceinture en grec, portion d’espace intermédiaire jamais bien définie. Il affectionne ces lieux incertains, espaces périurbains monotones, dérisoires, qui constituent l’anti-paysage par excellence : gravières désaffectées, décharges à ciel ouvert, friches industrielles, remblais et terrains vagues en contrebas des écrasantes masses de béton des infrastructures routières. Les rives aussi, lignes de démarcations instables s’il en est. L’entre-deux constitue son terrain de prospection.
La caméra s’approche ensuite pour détailler patiemment cette aire circonscrite par le plan général. Procédé particulièrement frappant dans un court métrage, Décharge de Carrières-sous-Poissy : Guillaume Gehannin visite ce dépôt sauvage d’ordures en égrenant une longue série de prises de vues aux cadres serrés, débusquant un à un les détritus jonchant les herbes folles. Tout au long de la vidéo les gros plans s’enchaînent sur un tempo lent, méthodique. Ce montage systématique procède presque du relevé topographique : la succession métronomique dénombre, collecte, dressant graduellement un état des lieux minutieux.

A mesure, l’identité du lieu-dit fini par transparaître de cet inventaire. Cela tient aussi à certains choix de raccords, comme ce champ-contrechamp : une première vue en plongée sur un amoncellement de gravats, au sol, à demi dissimulés dans la végétation maigre, enchaîne en contre plongée sur la hampe d’une ortie se balançant doucement sous la brise, sur fond de ciel bleu. La nature en regard de l’ordure. Inextricable corrélation. Inévitable devenir entropique des espaces suburbains.
Guillaume Gehannin prélève ainsi sur les différents sites qu’il sillonne des vues volontairement dépouillées, limitées, où les éléments les plus ordinaires et les plus insignifiants font jeu égal avec d’autres indices parfaitement anxiogènes. Lorsqu’il filme les Bords de Loire, les plans champêtres de bosquets d’arbres verdoyants ou de bœufs à la pâture alternent avec ces images de gaines en PVC affleurant dans les champs. Dans Zone nucléaire à accès réglementé, ce sont cette fois les formes accidentelles des nuages qui viennent se confondrent avec les fumées émanant des deux cheminées de la centrale. Ce choix de capter et de restituer ainsi, à l’avenant, ce qui dans le paysage relève de la nature ou du saccage écologique, traduit l’attachement de Guillaume Gehannin à se faire toujours témoin du monde. Façon de réaffirmer ce qui constitue le principe même de son médium : « Video !», stricto sensu « Je vois ».
Au cœur de ses recherches cette question du point de vue donc, qui va de paire avec celle de la mobilité. Car avant même de filmer Guillaume Gehannin marche, et son statut d’observateur découle de cette activité première. Ce mode spécifique de déplacement est véritablement chez lui un outil spéculatif – c’est même le moyen artistique liminaire par lequel il revisite et interroge le paysage. La perspective critique de son travail doit s’entendre à l’aune de cette propension à la flânerie. C’est la marche qui l’amène à exprimer dans ces vidéos cette lenteur, cette liberté de mouvements qui sont autant de négation des contraintes temporelles effrénées de la condition contemporaine. C’est par la marche qu’il parvient, au propre comme au figuré, à d’autres situations.
Dans les vidéos de Guillaume Gehannin, il n’y a de paysage que celui qu’il arpente. Plusieurs éléments de son travail insistent sur cette nécessité de la circulation. Le bougé de la caméra lorsqu’il filme à l’épaule. L’intérêt porté aux axes de transport, aux flux. Ce choix récurrent de mise en scène également : l’objectif suit une ou plusieurs personnes dans leurs pérégrinations au travers de sites industriels à l’abandon. Souvent, Guillaume Gehannin filme Paul, un proche devenu à l’écran une sorte d’alter ego. Quelques mètres en amont de la caméra, le jeune homme progresse toujours plus avant, guidant notre exploration. Dans ces espaces élémentaires – souvent réduits à une ligne d’horizon – sa silhouette dessine une verticale insistante, centrale dans l’image. Drôle de présence que cette figure qui se montre presque toujours de dos alors même qu’elle symbolise le regard. Paul nous précède, contemplant la perspective que son corps nous dissimule. A sa suite, inexorablement, Guillaume Gehannin filme, nous acheminant dans cet espace interstitiel – entre leurs deux regards, là où s’articule l’expérience du lieu.

Marion Delage de Luget

œuvres exposées

vue de l’exposition

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