Exposition solo / passée
salon de progress #13 / Une bonne fois pour toutes

Il y aura le dimanche 25 mai 2025 à 17h
une lecture de Dorothée Volut
et la présentation d’Éric Pesty Éditeur
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Texte de Dorothée Volut pour l'exposition:
Lorsque j’avais 18 ans, je suis partie travailler un été à Fécamp dans une usine. Durant ce mois, je fus hébergée chez une amie de mes parents qui était peintre. Au rez-de-chaussée, un immense atelier installé dans un ancien hangar poissonnier. Au-dessus, la même surface occupée par une bibliothèque chargée de livres, une table pour manger et des fauteuils pour lire ou discuter. Durant ce mois, je découvris deux choses : la réalité du travail en usine – un corps d’ouvrière associé à des gestes mécaniques – et le livre Rencontres avec Bram Van Velde de Charles Juliet – un corps de peintre d’où émergent, chargés de désir, des gestes.
« Je peins pour tuer le mot » est une des maigres phrases prononcée par le peintre hollandais, qui ne m’a plus jamais quittée. J’ignorais qu’un jour je deviendrais poète.
Des années plus tard, alors que l’écriture avait commencé d’habiter étrangement ma vie, je me suis installée sans comprendre dans la maison d’une femme peintre au milieu des collines du Verdon, et sans le savoir – ainsi qu’elle devait me l’apprendre un jour – , à quelques kilomètres du village où Bram Van Velde avait vécu. Tandis que Claire Colin-Collin occupait intégralement ses journées à peindre avec une détermination qui me laissait sans voix, je construisais lentement au-dessus de son atelier la bibliothèque dans laquelle figurait l’exemplaire de Rencontres avec Bram Van Velde, édité par Fata Morgana, acheté 18 ans auparavant de retour de l’usine normande. Une fata morgana est un phénomène maritime optique. Pour qu'elle soit perceptible, semble-t-il, des couches d'air chaud et des couches d'air froid doivent se superposer. Les images qui parviennent à l'œil sont ainsi amplifiées, au point d’apercevoir parfois des objets situés sur l'horizon.
Ce mardi 14 septembre 2024 où je me rends à la Maison du Cygne*, sans être sûre de savoir l’écrire, je vis un choc silencieux. Sur le seuil de la première pièce, je vacille. On dirait que la peinture bouge, que la toile se fait devant moi au fur et à mesure de mes déplacements. Je dois sortir, revenir au jardin, porter ailleurs mon regard, m’étendre sur l’herbe. Mes yeux se ferment sur des parois intérieures - brumes, brûlures. J’attends le retour d’une forme perceptive stabilisée. Et lorsque, de nouveau debout, je pénètre une seconde fois dans la galerie, la toile est devenue lumière, il n’y a presque plus rien à voir à part de la couleur qui se diffuse. On croirait la peinture en train de se vider d’elle-même. Je m’assieds sur l’unique banc au centre de l’espace et tente alors l’expérience de regarder les peintures sans les fixer, me laissant défaire par elles, laissant toute ma vie liquidienne tirer sur mes pensées. Mes doigts s’agrippent légèrement au banc. Un homme entre et dit : « Là, il faut avoir beaucoup d’imagination. » Là, il faudrait peut-être juste être un corps, dénué d’intention.
Mars 2025, Calvados, j’écris. Je marche sur les plages du débarquement le matin, je débarque. Grandes marées de solstice, la mer s’est retirée très loin. La plage s’étire comme un ventre, l’eau luit, ruisselle sur le sable. Je laisse mon corps errer sur la plaque sensible, je débarque dans la matière de nos constituants, le regard ininterrompu. Aucun relief ne fait obstacle, à part des mots qui me viennent : c’est la mère des peintures. Et d’un coup, je marche dans les peintures de Claire, dans leur origine horizontale.
Au moment de quitter la plage, un petit enfant apparaît dans mon champ. Il rentre dans une flaque que la mer a laissée. Je m’immobilise et l’observe, qui marche, le haut de son corps entièrement tourné vers les traces que l’eau fait autour de ses jambes au fur et à mesure qu’il se déplace. Parfois aussi l’enfant trace quelque chose avec son doigt sur le sable mouillé. C’est ce trait rose-rouge, on dirait, légèrement onctueux, qui incise parfois les peintures de Claire Colin-Collin - un reste de désir sous les ongles.
Dorothée Volut, Artignosc-sur-Verdon, mars 2025
- Précédente exposition de Claire Colin-Collin, Un certain temps, à Six-Fours-Les-Plages du 13.07 au 20.09.2024.