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Bellevue

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Après sa résidence à la galerie pour "La grande verrière" en février 2017, puis sa participation à l'exposition collective "Fantômes" en mai 2018, progress gallery présente l'exposition personnelle "Bellevue" de Gilles Elie.
Ouverture de l'exposition le samedi 16 janvier 2021 de 12h à 18h , dans le respect des gestes barrières en vigueur.

Une boîte à pizza est un paysage comme un autre

« Le monde, après tout, est plein de parkings, où nous attendent peut-être des rêves d’une telle richesse qu’ils mériteront tous les voyages d’aller et même, un beau jour, le voyage sans retour ».
Julio Cortazar et Carol Dunlop, Les Autonautes de la cosmoroute, trad. Laure Bataillon, éditions Gallimard

Après avoir peint de nombreuses vues extérieures et intérieures d’ateliers — là où se fait la peinture — Gilles Elie est sorti, du moins en avons-nous l’impression, pour aller sur le motif. Se confronter au monde en somme et l’on pourrait bien sûr penser ici à Cézanne, se rendant dans la campagne aixoise et répondant à quelques interlocuteurs : « Je vous dois la vérité en peinture, et je la dirai. »
Et, en effet, pour les nouveaux tableaux rassemblés dans cette exposition intitulée Bellevue, Elie a réalisé ce qui semble être différents paysages : un supermarché et son parking, un cinéma, une station-service, un magasin de couleurs…

De différents formats - de tailles modestes jusqu’à de plus grandes, comme pourraient l’être d’imposants écrans de télévisions - les peintures de l’artiste donnent à voir différents sujets - rarement des personnages, mais cela peut arriver. Les contours sont réalisés avec minutie et font ressortir des aplats de couleurs plus ou moins homogènes. Ce qui est représenté est donc facilement identifiable et se découpe sur des étendues colorées de manière tout aussi frontale que relativement réaliste. Ainsi, le bitume est gris, les routes sont tout aussi grises, les pompes à essence sont jaunes, les ciels sont bleus - il fait souvent beau dans les peintures de Gilles Elie, comme il fait toujours beau sur les boîtes de Playmobil. Bien sûr l’on pourrait aussi se dire que tout cela semble, peut-être, trop délicat, bien tracé, et que l’apparente neutralité des tableaux ne correspond finalement à aucune réalité. Et, si jamais la formule de Cézanne nous revenait alors en tête, on pourrait finalement se demander si la vérité ne serait pas tant à trouver dans le sujet représenté que dans la peinture elle-même.

Ainsi le Supermarché de Elie n’évoque aucun supermarché et, pourtant, il est identifiable : il ressemble à ce qu’il doit être. Et, il y a aucune différence notable entre ce supermarché-ci et ce supermarché-là, à quelque endroit du monde qu’il puisse se trouver. C’est en ce sens un supermarché signifié. Et, si dans cette exposition l’on trouve notamment une station-service, un cinéma, un parking, ou encore un rond-point, ceux-ci ne nous offrent ni donnée particulière, ni localisation et aucun véritable signe caractérisant. Des lieux qui ne disent pas autre chose que ce qu’ils sont et renvoient non pas à une histoire particulière, à un souvenir singulier mais plutôt à l'idée que l'on se fait communément d’un bâtiment. Ils offrent au regardeur les codes lui permettant d'identifier la fonction du lieu, sans particularisme, sans souvenir précis, sans romantisme, sans nostalgie. Ce sont des lieux génériques.

D’ailleurs, à y regarder de près, on pourra se rendre compte que, au final, la boîte à pizza est elle aussi générique : sur son couvercle est peint un rond rouge (bien malin celui qui y verrait une possible référence à Olivier Mosset ou à Victor Vasarely - à moins que la vérité en peinture soit, peut-être, une longue généalogie… ) - et n’évoque rien d’autre que ce qu’elle contient : une forme ovale, rouge le plus souvent. Un signe pizza, comme le signe centre-commercial, le signe Voiture ou le signe Cinéma… Des signes paysages en somme, puisque ces tableaux correspondent au genre : ce sont des vues extérieures d’items standardisés qui, peu ou prou, s'inscrivent dans un univers urbanisé de la seconde moitié du XXe siècle.

On pourrait à présent se demander ce que sont plus exactement ces lieux. Ce ne sont pas des habitations mais plutôt des lieux de passage ou de consommation.
Des espaces, comme les définissent l’anthropologue Marc Augé, que l’homme ne s’approprie pas, mais dans lesquels il ne ferait que passer, sans identification, sans histoire et qui pourraient être ceux-là, comme ils pourraient être ceux-ci. Ce sont ainsi des non-lieux. Alors, nous pourrions penser que les tableaux de Gilles Elie représentent alors des paysages qui sont des non-lieux génériques.

On se souviendra alors que l’exposition s’intitule Bellevue, évoquant les noms un peu grandiloquents que l'on donnait aux résidences d’habitation d’un immeuble des Trente Glorieuses. Notons que le carton d’invitation de l’exposition représentait un panneau, pareils à ceux des entrepreneurs, annonçant dans une typographie des plus adéquate : « Ici prochainement Bellevue ». C’est normal, l’exposition était encore en construction et il faut toujours prendre l’oeuvre du peintre au pied de la lettre : Elie a un rapport sémantique à la peinture.
Mais si les tableaux étaient « en construction » afin d’y présenter une « Bellevue » (on ajoutera qu'artiste et galeriste travaillent et résident à Belleville…), une vue sur le monde donc, c’est bien que ce qui s’échafaude veut offrir un point de vue inédit sur ce qu’il y a voir. En prenant de la hauteur (une Bellevue c’est prendre le plus souvent de la hauteur), que nous donne à voir l’artiste avec ces paysages de non-lieux génériques ? une forme de critique ? Ces non-lieux seraient les symptômes d’une sur-modernité, de la société de consommation, et ces paysages génériques seraient ainsi comme les illusions d’un monde qui nous auront conduits à notre perte - celui de l’après Seconde guerre mondiale, celui des Trente Glorieuses justement auquel le carton d’invitation fait allusion. Bref, les peintures de l’exposition seraient comme autant d’oeuvres dénonçant la fin du particularisme, le sur-aménagement urbain, la mort du petit cheval et celle du petit commerce. Une pensée, pour faire vite, anti-consumériste. Mais dit-on de Cézanne lorsqu’il pose son chevalet sur le sol caillouteux qui fait face à la Sainte-Victoire qu’il a des préoccupations écologiques ?

Alors évidemment, à regarder de près les tableaux de Gilles Elie, on y trouvera la malice qui les caractérise. On pourrait s’étendre ici sur les multiples références plus ou moins explicites à l’histoire de la photographie, à l’histoire de la peinture, mais cela n’a finalement que peu d’importance. Prenons le tableau Rond-point. Celui-ci représente une route qui revient sur elle-même. Ce rond-point ne propose aucune alternative mis à part de nous faire tourner autour d’un parallélépipède quadrillé, c’est à dire une forme générique non recouverte d’aplat coloré. C’est un rond-point qui permet de faire le tour d’une perspective. En somme : rond, point, ligne, plan puis retour sur la route initiale. C’est là l’ultime paradigme que ce rond-point : un résumé possible à coup de métaphore routière de 40 000 ans de peinture.

On comprendra qu’Elie joue avec tout cela en nous donnant à voir des images qui, parce qu’elles ont toute l’apparence d’être neutres et génériques, sont des espaces de projection - ce n’est pas pour rien qu’une toile fait référence au cinéma et s’intitule The End. Et, en ce sens, il ne s’agit donc pas de non-lieux mais au contraire d’endroits où tout est possible. Des lieux génériques qui ne demandent qu’à accueillir les histoires et les particularismes de chacun pour que l'on puisse tout à fait se les approprier. C’est finalement le propre de chaque oeuvre : elle ne représente pas seulement ce qui est plaqué sur leurs toiles, elles sont riches des histoires de ceux qui les ont contemplées.
Dès lors, il y a fort à parier que la vie s’invente, que l’histoire s’écrit et que la vérité de la peinture se trouve aussi dans les supermarchés ou les aires d’autoroutes.

Alexandre Mare

Ici prochainement,
acrylique sur toile de lin,
46 x 55 cm,
2020

photo © Stéphane Deroussent

œuvres exposées

vue de l’exposition

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