Exposition solo / passée

Paysages-précipités

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Il faut une certaine dose d’inconscience — ou un certain culot — pour oser appeler une série de peinture « Odyssée ». Comment, en effet, passer après Homère et se mesurer à lui ? Comment faire en sorte que la référence majeure de la littérature européenne ne vienne pas écraser de toute sa grandeur la peinture d’une artiste du XXIe siècle. À moins qu’il ne s’agisse que d’une vague analogie ou que le titre ait été choisi par Armelle de Sainte Marie sans qu’elle ait jamais pensé à une quelconque relation avec les aventures de Télémaque et d’Ulysse. C’est ce qu’elle semble affirmer : « Depuis 2009 je réalise des compositions à l’huile qui ont trait au paysage. Paysage intérieur, onirique, organique. Une période que j’ai nommée “Odyssée” car une aventure nouvelle avec la couleur dans l’historique de mon travail1 » — et l’on remarquera qu’il manque au titre de sa série l’article défini « L’ » qui indique toute l’unicité de l’œuvre.

Donc, la série d’Armelle de Sainte Marie ne semble avoir aucun rapport avec le texte homérique… mais, quand même, malgré tout… il semble exister des connexions : des images de grottes, d’horizons marins, de rivages… quelques éléments peuvent établir un lien avec les archétypes du récit grec et si l’on regarde quelques peintures romaines inspirées directement par le texte, comme les fresques de la maison de la via Graziosa conservées au Vatican représentant des scènes de Voyages d’’Ulysse sur fond de paysage, la relation me semble quand même présente. Exceptées la tonalité et la matité de la fresque, on y retrouve un même sens du chaos dans la composition, le même caractère allusif dans la figuration et une même fantasmagorie paysagiste — j’y reviendrai. Je ne crois pas qu’Armelle de Sainte Marie ait été influencée par ces peintures, je dirais plutôt que son odyssée picturale personnelle trouve ou retrouve des échos dans celle d’Homère et ses figurations, que des modèles renaissent, sans doute, à partir d’associations libres. Ainsi que le précise l’artiste, « La matière et la couleur de la peinture suscitent en moi une imagerie. Des pans entiers d’images-matière se précisent de façon narrative, presque naïve dans le traité, pour repartir en tournoyant vers la matière. Ce sont des visions qui sont en mouvement, comme la pensée qui est un flux. Avec des arrêts sur image en quelque sorte. Des associations d’idées et de sensations retranscrites “au moment où”, qui “me font penser à”, qui “me rappellent”2. »
Donc « Odyssée », 48 peintures réalisées entre 2009 et 2015 — dont vingt-cinq, seulement, portent le titre d’« Odyssée » suivi d’un nombre —, moments de concrétion de la matière picturale se fixant dans une presque figuration car c’est, là, me semble-t-il, la spécificité de la pratique picturale d’Armelle de Sainte Marie comme la peinture, chez elle, part et naît de la tache ou de la coulure — c’est le cas de beaucoup de peintres mais pas de tous et l’on pensera particulièrement à Léonard de Vinci, Hercule Seghers, Alexander Cozens, William Turner, Victor Hugo, Gustave Moreau ou, plus récemment, à Denis Laget3 — pour aboutir à des quasi-images. Taches et coulures se précisent, sont repassées, se superposent, deviennent des formes abstraites ovoïdes, ectoplasmiques ou proches de protozoaires. Ces éléments, eux-mêmes, peuvent donner naissance à des ébauches de paysages, formes mises en perspectives prenant de l’épaisseur et de la profondeur jusqu’à cette « figuration naïve » dont parle l’artiste — palmiers, fontaines, rocs ou éléments plus indécis. Sauf que ce que je décris n’est pas l’évolution d’une toile de son ébauche à sa réalisation, mais coexiste à l’intérieur du même espace dans une hétérogénéité constante où tous les registres se superposent et s’entrelacent. Ainsi, dans certaines peintures, planéité et éléments en perspective se côtoient dans une profondeur rendue, ainsi, indéfinie où les harmonies colorées se confrontent à des dissonances et des objets modelés sont juxtaposés à d’autres dont il ne reste que le contour et à des flaques amorphes peintes en aplats. Ou bien différentes manières picturales sont utilisées : du brossé au balayé en passant par le moucheté et l’on peut passer de la plus grande transparence à la plus grande opacité. Parfois l’image se concrétise de manière plus définitive, parfois elle devient un motif rythmique comme dans « Odyssée 13 », ou se délite dans une gestuelle virtuose, mais ce qui est presque constant est l’état d’instabilité de ces images. Dans « Odyssée 17 », une coulure devient l’eau d’une fontaine tout en restant coulure et ne devenant jamais totalement eau. Elle suggère, évoque, tend vers, sans que jamais les moyens picturaux ne tentent l’imitation ou la représentation.
La peinture d’Armelle de Sainte Marie demeure dans l’incertitude de son état traçant des fantasmagories qui sont autant formelles que figurées, restant entre la pure sensation picturale et l’image. Ce qui revient à préserver ou à présenter la manière dont elle conçoit l’exercice pictural car, comme elle le dit, « Une toile se fait à partir d’un agencement de mémoires et de sensations picturales4 » et j’oserai rajouter de mémoires d’images et de mémoires de peintures — l’un et l’autre se mixant continuellement.
Éric Suchère

œuvres exposées

vue de l’exposition

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